L’enseignement supérieur est-il le lieu de l’apprentissage de savoirs ou celui d’une formation éthique, du développement d’un esprit « humaniste » ? Au vu des critiques et attaques orchestrées avec constance depuis quelques années par les ministres censés le défendre, de l’évolution du rapport entre humains et machines et enfin de la responsabilité humaine dans la dégradation des écosystèmes et du vivant, c’est une question qui mérite d’être posée et les termes du débat définis : qu’est-ce que serait un enseignement humaniste aujourd’hui et quels sont les enjeux de l’apprentissage dans la période historique qui est la nôtre ?

Cette contribution est un apport au débat sur l’importance du développement de l’esprit critique dans l'enseignement supérieur, en particulier à l'ère de l'IA générative, mais aussi au regard des autres transitions en cours. L’importance de l’esprit critique est soulignée dans tous les contextes liés à la formation, tant pour mener ses apprentissages, que pour analyser l’information, que pour le développement de compétences. Au regard de la diversité des définitions de l’esprit critique, une définition plus large est mobilisée pour intégrer les différents processus de pensée d’ordre supérieur. Le débat proposé porte sur l’importance du développement de la pensée critique dans nos formations, qui passe par son explicitation, sa mobilisation dans un maximum de contextes d’apprentissage, mais aussi pour évaluer l’évolution des systèmes de formation.

La recherche scientifique est à l’origine de la révolution technologique qui a reconfiguré les sociétés en les transformant en une seule société virtuelle où se rassemblent des milliards d’individus. Cette mutation inédite que l’humanité n’ait jamais connue ne s’est pas effectuée sans conséquences sur la formation éthique et la construction de l’identité humaine.

Après que les penseurs et les intellectuels étaient les théoriciens et les éducateurs des sociétés séparées les unes des autres et alors maîtrisables, la société technologique prodigue aux influenceurs tous les moyens qui leur permettent d’éclipser les sages et de hanter continuellement les gens impactant ainsi la formation de leurs esprits et le façonnement de leurs comportements. Ces influenceurs issus de n’importe quel horizon et agissant sur la masse dans l’absence de tout encadrement éthique et moral comble le vide qu’a laissé l’université en tant qu’enceinte de réflexion, de penseurs, d’intellectuels et de théoriciens.

En effet, il incombe à l’université en tant que productrice de savoir de s’occuper de l’accompagnement de l’Homme dans sa quête de son accomplissement de soi au sein de ce nouvel univers technologique chaotique. Néanmoins, les transformations qu’elle a subies à son tour sous les pressions du marché de travail l’ont engagée dans la préparation de l’employé au détriment de son devoir de préparation de l’être humain. De sorte que sa mission fonctionnelle l’emporte amplement sur sa mission humaine. Il est donc nécessaire de « créer une autre Université ou une institution qui remplacerait celle qui est dépassée et incapable de se ressaisir ? » (...)